Dany Laferrière à l'Académie

L'écrivain québécois d'origine haïtienne Dany Laferrière
PHOTO: Georges Seguin / CC BY-SA 3.0

Pourquoi Dany Laferrière a-t-il souhaité devenir membre de l'Académie Française? Voilà la question posée par la journaliste Nathalie Petrowski dans sa chronique d'aujourd'hui. Selon moi, des considérations financières pourraient faire partie des motivations de l'écrivain.


J'aime beaucoup l'auteur québécois Dany Laferrière et c'est avec plaisir et amusement que j'ai appris son élection à l'Académie Française.

Dans son billet publié dans La Presse d'aujourd'hui, la journaliste culturelle Nathalie Petrowski s'étonne: pourquoi Dany Laferrière a-t-il voulu devenir Immortel? Voici quelques extraits de son article:
Je le répète: je suis enchantée pour Dany puisque son souhait le plus cher vient d'être exaucé, mais je m'interroge. Qu'est-ce qui lui a pris? Pourquoi vouloir sacrifier son indépendance, sa liberté de parole et sa liberté tout court, pour se joindre à une bande de vieux croûtons au sein d'une institution douée pour les intrigues de couloirs et considérée par plusieurs comme rigide, pompeuse et rétrograde?
Qu'avait-il besoin de ça dans sa vie? Et comment peut-il sérieusement envisager de se promener avec son épée et ses dorures sans crouler de rire?
Pour moi, Dany restera toujours un grand écrivain qui, au fil de ses livres, a construit une oeuvre personnelle et fascinante. Que cela n'ait pas été suffisant pour lui me dépassera toujours un peu. Mais je ne suis pas dans ses souliers. Je ne connais rien des vicissitudes de la vie d'un écrivain ni des blessures secrètes qui l'animent. En plus, je ne suis ni noire ni haïtienne et donc pas vraiment en mesure de saisir l'importance de ce qui ressemble à une belle vengeance de l'Histoire au sein d'une institution beaucoup trop blanche.
Les applaudissements, le succès, la notoriété, les prix, les doctorats honorifiques, tout cela, c'était bien, mais de toute évidence, pas suffisant pour étancher la faim de Dany. Il avait besoin de quelque chose de plus grand. J'espère qu'en l'obtenant, il ne deviendra pas trop repu.
 « Star Académie » dans La Presse du 15 décembre 2013

Nathalie Petrowski semble ignorer (en vérité peu de gens le savent) que l'appartenance au club sélect des immortels n'apporte pas que des avantages honorifiques mais aussi des avantages parfaitement matériels. Et ces avantages  ne découlent pas seulement de l'impact positif sur les tirages de livres...

 En lisant les propos de Mme Petrowski, j'ai tout de suite pensé à l'écrivain français Jacques Laurent et j'ai eu l'impression de connaître la variable secrète dans les motivations de Dany Laferrière.

Dans la France d'après-guerre, Jacques Laurent mène une vie mouvementée d'aventures littéraires, politiques et... sentimentales!  Il publie sous son nom Les corps tranquilles, Les bêtises (Prix Goncourt 1971) et Histoire égoïste, tous encensés par la critique.  Il publie aussi, sous le pseudonyme de Cécil Saint-Laurent, la suite de romans Caroline Chérie, série plébiscitée par des millions de lecteurs.

 Dans la revue Arts, dont il assume la direction, il signe des articles incisifs contre l'Académie Française. Or en 1986, coup de tonnerre, Jacques Laurent, alors âgé de 67 ans, se fait élire à cette même académie qu'il vilipendait une trentaine d'années plus tôt. Pourquoi? Il s'en est expliqué franchement: un souci de sécurité financière l'a amené à vouloir être membre.

En effet, l'Académie Française est riche. Fondée par le cardinal de Richelieu en 1635 avec le motif officiel de normaliser et promouvoir la langue française et avec le motif officieux d'exercer un contrôle sur l'intelligentsia du temps, l'Académie a bénéficié de multiples dons et legs surtout à l'époque de l'Ancien Régime.

Pour préserver son prestige, l'Académie ne peut tolérer qu'un de ses membres vive dans la pauvreté. Par conséquent, elle verse discrètement aux académiciens moins fortunés une généreuse rente. Devenir l'un des quarante immortels apporte l'assurance d'être à l'abri du besoin jusqu'à la mort.

Comme il le raconte dans son premier livre, « Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer » Dany Laferrière a connu la misère dans sa jeunesse. En plus des considérations de prestige, serait-il possible que des considérations de sécurité financière le motivent à entrer à l'Académie Française?

Comme Jacques Laurent avant lui, serait-il possible que l'argent joue un rôle dans sa décision de troquer une image d'écrivain libre et rebelle pour une image plus classique, celle de l'Académicien?

Je ne vois là rien de surprenant, rien de mal, rien de déshonorant. À sa place, je ferais la même chose. Et seuls ceux qui n'ont jamais connu les années de vaches maigres peuvent penser autrement.


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P.-S.- À toutes les personnes qui, à l'instar de Nathalie Petrowski, voient les Académiciens comme étant de « vieux croûtons », je suggère de lire la  chronique jouissive de Pierre Foglia sur ce sujet.


Citation du jour

« L'argent n'a pas d'importance, mais le manque d'argent, oui. »
Jean-François Somain





4 commentaires:

  1. Dany Laferrière, l’Académie française et l’argent

    Sur un mur, chez moi, je regarde tous les jours une peinture laminée de Bruegel, la Chute d’Icare. C’est un immense tableau. A l’avant-plan, un cultivateur travaille sa terre avec sa charrue tirée par un cheval. Un peu plus bas, un berger et ses moutons. A droite, un pêcheur à la ligne. Au loin, un bateau transporte des marchandises. C’est la vie économique. Et, plus bas, en petit, Icare qui est tombé dans l’eau, cul par-dessus tête. Icare, c’est l’idéaliste qui a voulu sortir du labyrinthe par le haut en se fabriquant des ailes tenues ensemble par de la cire qui a fondu quand il a voulu trop s’approcher du soleil ne suivant pas les conseils de son père. La Chute d’icare de Bruegel est une illustration du "primum vivere, deinde philosophare". Il faut d’abord vivre, gagner sa vie, avoir de quoi subsister et vient ensuite la philosophie. Retenons la leçon de Bruegel et d’Aristote qui soutient qu’il faut un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu.
    Prenez le cas de Maria Mourani. On a beaucoup analysé ses nouvelles idées, comment une passionnée de l’indépendance du Québec est devenue une ardente fédéraliste faisant l’éloge de la charte des droits de Trudeau père, dénonçant la Charte de la laïcité québécoise et allant même jusqu’à répéter le cliché de la faiblesse du gouvernement Marois en économie…comme une libérale. Tout cela parce qu’elle voulait continuer à porter au cou sa croix maronite.
    Or, la clé de son comportement nous fut donnée par Louis Plamondon. Il nous informa qu’après avoir combattu en vain le redécoupage de la carte électorale, elle fut bien obligée de constater que dans son nouveau comté, si on transpose les résultats de la dernière élection fédérale, le Bloc et elle-même auraient perdu par 5,000 voix. Pour rester députée, il lui fallait sortir du Bloc et la Charte des valeurs fut un excellent prétexte. Son objectif, rester députée et conserver son salaire de 160,200$ et son budget de 300,000$ pour son bureau à Ottawa, son bureau de comté et le 25,000$ pour ses dépenses de logement, de repas et pour ses déplacements. Sans oublier sa pension. Telle est l’explication simple mais vraie de ce que d’aucuns ont appelé sa trahison c’est-à-dire le reniement de tout ce à quoi elle avait cru si passionnément. Il suffisait d’un peu de réalisme pour comprendre. (suite à venir)

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  2. Dany Laferrière, l’Académie française et l’argent


    Dans le cas de Dany Laferrière, on a suivi un processus semblable. On a parlé de cet exploit qui consiste à être élu à l’Académie française. Du culot qu’il fallait. De l’honneur qui rejaillissait sur Haïti, sur le Québec comme l’a souligné Pauline Marois , sur le Canada, sur les Noirs.
    Suivant la leçon de Bruegel et d’Aristote, il est du plus grand intérêt de s’intéresser aux aspects financiers de l’élection de Dany Laferrière à l’Académie française. On ne peut se contenter de rester dans le culturel en se voilant la face, comme c’est souvent le cas, et en oubliant l’aspect économique de toute l’affaire. On a vu les inconvénients de ne pas tenir compte des motivations financières de la conversion au fédéralisme de Maria Mourani. Ne faisons pas la même erreur une deuxième fois.
    J’ai été mis sur la piste par un commentaire non signé. Le voici. « Enfin madame Carrère d’Encausse, une spécialiste de l’ex-URSS, qui s’est constamment trompée, n’entendra sûrement pas les appels de RBG, confortablement nichée, dans son appartement de fonction, de 8000 pieds carrés, quai Bourbon à Paris, complètement meublé par l’Institut, pas chez Ikea. L’Académie c’est aussi et SURTOUT l’accès à des privilèges, une carte de visite, des appartements dans les plus beaux endroits de Paris, cédés gracieusement, à vie, meublés par l’Institut etc. »
    La secrétaire de l’Académie jouit sans doute de privilèges particuliers. Mais plaçons-nous du point de vue de Dany Laferrière. Il vit surtout de ses droits d’auteur payés par des éditeurs qui ne nagent pas dans l’argent et qui, souvent, dépendent de subventions gouvernementales. Il est donc dans une situation d’insécurité financière. Situation fort inconfortable pour ce père de famille qui aime voyager. Peut-on blâmer Dany Laferrière d’avoir cherché la sécurité financière ? Certainement pas. Il n’y a aucun scandale là-dedans. Le scandale, ce serait de refuser d’en parler. Alors il a pris les grands moyens pour être élu. Il a écrit aux 37 membres de l’Académie une lettre personnalisée pour avoir leur vote. Il lui a sans doute été difficile de ne pas tomber dans l’obséquiosité. Toujours est-il qu’il a obtenu 13 votes sur 23 et il a été élu.
    Nathalie Petrowski s’est demandé pourquoi son écrivain préféré a voulu entrer à l’Académie. Elle a écrit : « Pourquoi vouloir sacrifier son indépendance, sa liberté de parole et sa liberté tout court, pour se joindre à une bande de vieux croutons au sein d’une institution douée pour les intrigues de couloirs et considérée par plusieurs comme rigide, pompeuse et rétrograde ? Qu’avait-il besoin de ça dans sa vie ? Et comment peut-il sérieusement envisager de se promener avec son épée et ses dorures sans crouler de rire ? » ( « Star Académie », La Presse, 15 décembre 2013) Nathalie Petrowski a une sécurité d’emploi à vie à La Presse : comment pourrait-elle comprendre un écrivain à statut précaire ! Elle n’a donc pas trouvé de réponse à ses questions. En effet, « pourquoi vouloir sacrifier son indépendance, sa liberté de parole et sa liberté tout court ? »

    Robert Barberis-Gervais, Vieux-Longueuil, 29 décembre 2013

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  3. Dany Laferrière, l’Académie française et l’argent



    Si on poursuit la recherche, on découvre un article sur le blogue « Marcher vers le soleil » intitulé : « Dany Laferrière, l’Académie française…et l’argent ». L’auteur écrit : « L’appartenance au club sélect des immortels n’apporte pas que des avantages honorifiques mais aussi des avantages parfaitement matériels. Et ces avantages ne découlent pas seulement de l’impact positif sur les tirages de livres… »
    Il donne l’exemple de Jacques Laurent auteur de bons romans et de « Caroline chérie » qui avait souvent attaqué l’Académie dans sa revue « Arts » et qui, à la surprise de tous, y entra. Chose assez rare chez les Français plutôt cachottiers sur les questions d’argent, Jacques Laurent, candide, avoua que c’était pour avoir une sécurité financière.
    Je laisse la parole à l’auteur du blogue. « En effet, L’Académie française est riche. Fondée par le cardinal de Richelieu en 1635 avec le motif officiel de normaliser et promouvoir la langue française et avec le motif officieux d’exercer un contrôle sur l’intelligentsia du temps, l’Académie a bénéficié de multiples dons et legs surtout à l’époque de l’Ancien Régime. Pour préserver son prestige, l’Académie Française ne peut tolérer qu’un de ses membres vive dans la pauvreté. Par conséquent, elle verse discrètement aux académiciens moins fortunés une généreuse rente. Devenir l’un des quarante immortels apporte l’assurance d’être à l’abri du besoin jusqu’à la mort. »
    Voilà la clef de l’énigme. Les démarches de Dany Laferrière pour entrer à l’Académie française, c’est aussi une question d’argent… Etre membre de l’Académie française lui assure une enviable sécurité financière. Il n’y a rien de déshonorant là-dedans. Mais il fallait en parler pour avoir un portrait complet de l’opération séduction menée auprès des membres de l’Académie française par l’écrivain haïtien qui a habité au Québec.
    D’un point de vue individualiste, Dany Laferrière ressemble à un joueur de hockey qui vient de signer un contrat de plusieurs millions par année. Comment ne pas se réjouir pour lui ! La question alors qui se pose est la suivante : est-ce que des voix autorisées d’Haïti, du Québec et du Canada ont eu raison de vouloir s’approprier, comme collectivités, une partie de la gloire du nouvel académicien ? Je vous laisse répondre à cette question tout en vous suggérant de ne pas oublier qu’il est probable que la motivation principale de Dany Laferrière a été d’assurer sa sécurité financière. Et, que s’il n’y a aucun scandale à souligner cet aspect de la question, il y a des inconvénients à l’ignorer.
    La Chute d’Icare de Breugel nous aura instruit : on ne doit jamais oublier les conditions matérielles des décisions qui sont prises par les individus. On voit la pertinence de ce principe en l’appliquant à Maria Mourani et à Dany Laferrière. Ce qui nous évite de tomber dans l’angélisme et l’idéalisme.
    Comme membre de l’Académie française, Dany Laferrière aura plus que jamais les moyens de faire le dandy et de dédaigner les nationalismes sauf celui d’Haïti, sa mère patrie.
    Robert Barberis-Gervais, Vieux-Longueuil, 29 décembre 2013

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  4. Il faut reconnaître que certains commentaires sont plus intéressants, plus intelligents, plus éclairants que d'autres. Les vôtres, Monsieur Barberis-Gervais, appartiennent incontestablement à cette catégorie.

    Merci beaucoup pour votre remarquable contribution à cette page.

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